Les Pères Jésuites et
l’enseignement à Liège
Les Pères Jésuites et l’enseignement à Liège
L’Ancien Régime
Les Jésuites en Isle (1582-1773)
Le 24 novembre 1582, le Père Général de la Compagnie de Jésus signait le décret de fondation d’un collège jésuite en Isle, à Liège. Ce Collège, qui compta jusqu’à un millier d’élèves, et qui dispensait un enseignement gratuit, se maintint jusqu’à la suppression de l’ordre des Jésuites par le Pape Clément XIV en 1773, qui avait cédé aux injonctions des rois de France, d’Espagne et du Portugal. Il était situé « en Isle », c'est-à-dire au bord de la Meuse, sur le site actuel des bâtiments de l’Université de Liège, dans le triangle formé par la place du XX Août, le quai Roosevelt et la place Cockerill. Lors de la création de l’Université de Liège, en 1817, certains des bâtiments abandonnés par les Jésuites furent récupérés et transformés par la nouvelle institution : ainsi, l’actuelle salle académique de l’Université est construite sur l’emplacement et dans les murs du chœur de l’église des Jésuites, de même que la salle des périodiques et des manuscrits de la bibliothèque universitaire. Le Palais des Princes-Evêques, lui, a hérité de l’horloge et du carillon du Collège des Jésuites en Isle.
Le collège des Jésuites anglais (1613 - 1773)
Un autre collège jésuite fut créé à Liège, sur le site de l’ancien hôpital des Anglais, par des Pères Jésuites anglais qui, chassés de leur pays natal par la Réforme, trouvèrent à Liège un abri sûr pour s’adonner à leurs activités d’enseignement à partir de 1613. Cet établissement, qui se maintint jusqu’à la Révolution Française, draina lui aussi des centaines d’élèves. Après le départ des Jésuites, les bâtiments furent ensuite reconvertis en hôpital, qui garda le nom de « hôpital des Anglais ».
Le Collège Saint-Servais
(fondé par l’abbé Julliot en 1828 – repris par les Jésuites en 1838)
Après la période révolutionnaire, le Collège Saint-Servais proprement dit fut fondé par un prêtre séculier, l’abbé Julliot, en 1828, dans un immeuble situé près de l’église Saint-Servais à Liège : c’est de cette proximité paroissiale que le Collège tire sans aucun doute son nom, qui fait mémoire du premier évangélisateur de la région de Liège - Maastricht. Au départ, Saint-Servais était un collège « clandestin », organisé avec l’accord de l’évêque de Liège, certes, mais à l’insu des autorités hollandaises qui – à une époque où la Belgique n’était pas encore indépendante - menaient une politique anticléricale. L’éventail des branches qui y étaient enseignées était déjà vaste : latin, grec, français, philosophie, histoire sacrée et profane, mythologie, géographie, mathématique, anglais, allemand, hollandais (sic), dessin, calligraphie et tenue des livres... Cet établissement connut un tel développement qu’il dut quitter son implantation originelle, faute de place : dès 1834, son directeur acheta une ancienne gentilhommière du XVIIIème siècle appartenant à un certain Defrance, située faubourg Saint-Gilles, un quartier qui, à l’époque où un bras de Meuse occupait encore l’emplacement des boulevards de la Sauvenière et d’Avroy, était encore en majeure partie constitué de terres cultivées. L’abbé Julliot y installa son Collège, qui garda le nom de sa paroisse d’origine. L’abbé Julliot, qui entretenait d’excellents rapports avec l’ordre des Jésuites – entre-temps rétabli en 1814 par Pie VII – décida ensuite de confier son oeuvre (et les dettes qu’il avait contractées...) à la Compagnie de Jésus, à la grande joie de l’évêque de Liège soucieux de rendre la responsabilité d’un grand collège d’humanités aux Jésuites en Cité Ardente. Pour la petite histoire, l’abbé Julliot entra lui-même dans la Compagnie de Jésus, tout en n’apparaissant plus au collège. Depuis lors, les Pères Jésuites ont animé le Collège Saint-Servais. Ils l’ont dirigé jusqu’en 2002, lorsqu’ils en ont cédé la direction à un laïc, Monsieur Jean-François Kaisin, tout en restant présents à la fois dans le corps professoral du Collège (cinq jésuites font partie du corps enseignant en 2004-2005) et au 92 de la rue Saint-Gilles où ils ont une importante résidence.
Quelques étapes du Collège Saint-Servais
Le premier recteur jésuite du Collège Saint-Servais fut... un flamand, un gantois précisément : le Père Bossaert. Celui-ci se lança dans une vaste politique de constructions : dès 1840, le Collège fut doté d’un internat et du bâtiment de classes avec ses galeries, qui resta en service jusqu’à la reconstruction de 1984. Une église, à front de la rue Saint-Gilles, fut érigée en 1851, une piscine d’abord découverte en 1895 et la grande salle des fêtes en 1896, qui fit sensation car elle passait pour être la plus vaste et la plus moderne de Liège : c’était une construction typique où la charpente métallique était reine, à l’époque de la tour Eiffel et des grandes verrières métalliques de gare comme à Anvers-Central. Elle était flanquée de deux salles d’études où les élèves demi-pensionnaires et externes pouvaient faire leurs devoirs après leurs cours. Un des premiers spectacles joués dans cette salle fit scandale : c’était une édifiante et pieuse « Passion » certes, mais la troupe était celle du Pavillon de Flore, qui montait aussi d’autres spectacles réputés « légers ». Certains bien pensants firent – dit-on – remonter l’affaire à Rome et saisirent le Supérieur Général des Jésuites. Il y eut aussi dans cette salle d’extraordinaires concerts où se produisit notamment le célèbre violoniste Eugène Ysaye, dont le fils était inscrit au Collège.
C’est à la même époque, en 1898, que l’équipe du football du Standard de Liège fut fondée par un groupe d’anciens élèves du Collège : on prétend même que les couleurs rouge et blanc du célèbre club seraient à l’origine les couleurs symboliques du sacré Cœur. En 1886, 1887 et 1890, en pleine question sociale, les démocrates chrétiens liégeois réunirent dans les réfectoires mis à leur disposition par le Collège les célèbres « congrès sociaux » chargés d’examiner la condition ouvrière misérable dans la région et la réponse politique à lui donner. Très en avance sur leur temps, les congrès sociaux furent puissamment relayés par la célèbre encyclique Rerum Novarum promulguée par Léon XIII en mai 1891.
En août 1914, le collège est transformé en hôpital de campagne par la Croix-Rouge de Belgique pour soigner les blessés : cette situation durera pendant un an. Les Pères Jésuites eux-mêmes ne restèrent pas inactifs pendant la première guerre mondiale, comme le Père Desonay, arrêté en plein milieu de ses cours le 16 juin 1917 par la police allemande : il était en fait – sous le nom de guerre de « commandant Belleflamme » le second de Walthère Dewé, le chef du service d’espionnage anglais dit « de la Dame Blanche ». C’est aussi l’époque où un certain Georges Simenon (né en 1903) fut inscrit au Collège… où il ne termina pas son cursus scolaire.
C’est en 1923 qu’est créée une première colonie de vacances à Botassart, au bord de la Semois, dans une école désaffectée. Celle-ci continue ses activités près d’un siècle plus tard... Au Nouvel-An 1926, le Collège, comme le reste de la ville, subit les effets dévastateurs des inondations, qui submergèrent le rez-de-chaussée jusqu’à un mètre de hauteur. Pendant ce temps-là le célèbre Père Van Bambeke exerçait ses talents pédagogiques et disciplinaires à la préfecture de discipline. C’était aussi l’époque où – en l’absence d’un système de pensions - des professeurs laïcs n’hésitaient pas à enseigner jusqu’à un âge avancé, comme le célèbre M. Hinnisdaels, qui compta jusqu’à 55 années d’enseignement : il avait débuté en 1881 et compta au cours de ses dernières années d’activité les petits-fils de ses premiers élèves ! Quelques générations plus tard, un autre illustre professeur laïc, M. Jean Rucquois, sorti du Collège en 1922, enseigna le latin et le grec au Collège pendant… cinquante ans.
La seconde guerre mondiale apporta aussi son lot de malheurs. Ainsi, dès la déclaration de guerre de septembre 1939, de nombreux professeurs furent rappelés sous les drapeaux, désorganisant les cours. Le 10 mai 1940, les classes supérieures se vidèrent, car les jeunes gens de 16 ans et plus, qui constituaient la réserve de recrutement, durent rejoindre d’hypothétiques centres de ralliement de l’armée belge qui, en fait, n’existaient que sur le papier.
Pendant la seconde guerre mondiale, le collège devint tour à tour gîte d’étape pour réfugiés, objet de menaces permanentes d’un occupant lassé de l’attitude hostile ou narquoise de ses élèves, quand ses professeurs n’étaient pas réquisitionnés pour la garde des voies ferrées ou lignes électriques objets de tentatives de sabotage de la Résistance. Puis, il subit les bombardements, et attaques des V1 et V2 : ainsi, un V 1 s’abattit-il au coin des rues Grandgagnage et Jonfosse, dévastant le Collège (plafonds enfoncés, murs soufflés, vitres pulvérisées). C’est aussi l’époque où le bourgmestre de Liège avait réquisitionné une bonne partie de l’établissement pour y entasser des centaines d’inciviques accusés de collaboration avec l’ennemi : un mur provisoire avait été construit à la hâte en plein milieu de la cour de récréation pour les séparer du reste du monde… Plus tard, en mars 1945, les Américains transformeront Saint-Servais en centre de rapatriement pour les déportés libérés par leurs armées au fur et à mesure de leur avance en Allemagne.
Aussi, ce n’est que fin décembre 1945 que le Collège fut entièrement rendu à sa mission d’enseignement.
Après guerre, en 1947 précisément, le collège participa à la célèbre procession nautique célébrant le septième centenaire de la Fête-Dieu. On raconte que la péniche, décorée par les soins des membres de la communauté scolaire de Saint-Servais était la plus belle, avec sa représentation de la flèche et des deux tours de l’ancienne cathédrale Saint-Lambert. A la même époque, s’installa la tradition – toujours vivace au grand dam du Préfet de discipline - de l’envahissement du Collège par les étudiants universitaires à l’occasion de la Saint-Nicolas... et une autre tradition - plus pédagogique - celle de l’excursion de tout le Collège en autocar (la première fois, on fit modestement le tour des barrages et on visita la cascade de Coo).
La signature du Pacte Scolaire de 1958 constitua une révolution pour les professeurs du Collège désormais payés par l’Etat à un barème bien supérieur à ce que le Collège pouvait leur offrir. C’était l’époque où chaque élève commençait encore sa journée de cours par l’assistance à la messe dans l’église du Collège.
Fin des années soixante, le Collège faillit être exproprié, lors des premiers projets de liaison autoroutière avec le centre de la ville. Après maintes polémiques, le projet fut finalement déplacé vers la rue Sainte-Marie.
L’année 1978 marqua un tournant dans la politique générale du Collège : après la fermeture, dès l’année précédente (1977) de l’internat, victime de contraintes budgétaires, des problèmes nouveaux apparurent : la question du passage à l’enseignement rénové, les projets de démolition des bâtiments à front de la rue Saint-Gilles, église comprise, pour loger la Communauté des Pères dans un bâtiment plus moderne et indépendant du Collège, et la problématique du passage à la mixité et des projets de restructuration avec d’autres établissements libres avoisinants (l’école abbatiale Paix-Notre-Dame fut la plus intéressée par ce dernier projet).
L’incendie qui ravagea une partie des salles de cours du Collège le 22 février 1979 fit accélérer les choses : la décision fut rapidement prise de procéder à la reconstruction du bâtiment des classes et du bâtiment des Pères du collège. Le nouveau bâtiment des classes sortit de terre en 1984. Le Centre Sportif était déjà sorti de terre deux ans plus tôt, en 1982.
Puis, l’histoire s’accéléra encore. Le collège passa à l’enseignement rénové en 1979. Le rapprochement avec l’école abbatiale Paix-Notre-Dame et le passage à la mixité corrélatif furent accomplis à partir de 1992, sous le nouveau nom de « Collège Saint-Benoît Saint-Servais ». Au début du troisième millénaire, le collège procéda à la rénovation d’un ancien bâtiment industriel antérieurement occupé par la Compagnie liégeoise d’électricité (en 2004) pour y installer sa nouvelle entrée et dix-huit classes destinées à ses élèves de 5ème-6ème.
Bref, comme le constate le Père jésuite André Pirard, ancien élève et éducateur au Collège depuis 1962, le collège Saint-Servais n’a cessé de manifester sa volonté de s’adapter à son époque, et à une société dont ses élèves sont le reflet et dont l’évolution se fait de plus en plus rapide au cours des temps.